QUELQUES LECTURES

BERLIN, année zéro. La première bataille de la guerre froide (Giles MILTON, Edit. Noir sur blanc, 2021-2022)

La prise de Berlin fin avril 1945 et la capitulation du 8 mai suivant sont les événements marquants de la chute du IIIè Reich et pour l'Europe la fin de la seconde guerre mondiale. Le livre en décrit d'abord les péripéties du point de vue des Berlinoises et les Berlinois à qui les vainqueurs font payer les souffrances endurées par les populations civiles de leurs pays. C'est aussi, le commencement de frictions qui iront s'accentuant pour devenir un conflit larvé voire explicite entre lesdits vainqueurs dont l'alliance ne résiste pas aux tentations d'hégémonie.

Au départ, il s'agit surtout des prétentions soviétiques d'être les seuls artisans de la Victoire, discours encore présent aujourd'hui à Moscou.

Bien vite, la Russie Staline (appelée URSS) ne fait plus mystère de son ambition d'engranger le maximum de bénéfices politiques et territoriaux. Au départ, pour éloigner les dangers d'une résurgence future de l'Allemagne mais bien vite pour étendre son empire voire imposer la bonne parole communiste. Les avertissements puis les premières ripostes, prémices de la guerre dite froide, seront notamment le fait d'officiers américains ou anglais des armées d'occupation en Allemagne et plus précisément à Berlin. Très tôt, ils ont voulu faire barrage aux prétentions staliniennes exorbitantes parfois contre l'avis de leur gouvernement respectif qui voulait préserver l'alliance antinazie et cherchait l'apaisement. Au départ, leurs avertissements seront négligés mais ils devinrent de plus en plus audibles. CHURCHILL s'en fera l'écho dans son discours de Fulton (Missouri) le 5 mars 1946 : « Je suis convaincu qu'ils (les Soviétiques) n'y a rien qu'ils admirent plus que la force, et rien qu'ils respectent moins que la faiblesse, surtout la faiblesse militaire ». Quelques jours auparavant, à la demande de ses supérieurs, George KENNAN, chargé d'affaires à l'ambassade américaine à Moscou depuis quelques années, écrivait dans son rapport : « La vision paranoïaque qu'a le Kremlin de la situation mondiale, est causée par le sentiment d'insécurité russe atavique et instinctif. Cette insécurité se manifestait par des efforts patients mais mortellement dangereux visant à la destruction totale des puissances rivales ». Ces tensions culmineront avec le blocus de Berlin (commencé le 24 juin 1948) et qui dura une année.

Un livre a lire notamment en éclairage de l'invasion russe en Ukraine.


« Le vin bourru » de Jean Claude CARRIERE, édité en 2000

Artiste « parisien », l'auteur est né à Colombières sur Orb (entre Lamalou et Mons la Trivalle, dans les hauts cantons de l'ouest de l'Hérault).

Dans ce livre, il conte son enfance et décrit l'ambiance et le dur labeur des paysans de ces contrées aux alentours des années 1940. Belle approche pour revivre le contexte qu'ont connu les anciens du Midi et comprendre un tantinet l'évolution intervenue depuis.

Vous y apprendrez par exemple qu'à l'époque les pommes de terre y sont rares. D'une part, les bons sols (réduits) sont réservés aux légumes « plus nobles », d'autre part les transports alimentaires nationaux ou internationaux sont encore rares. C'est ainsi que la châtaigne fut longtemps prisée dans ces régions et remplaçait les féculents quasi inconnus dans les jardins. Le long des chemins, il reste de beaux châtaigniers, témoins de cette époque.

Ps le vin « bourru » c'est le jus de première pression

L'Arsène Lupin des galetas par Paul CASOAR (2022)

Lorsque meurt Raoul SACCAROTTI (1900-1977), c'est un monde qui disparaît. Celui que ressuscite Phil CASOAR.

Est-ce une biographie romancée ? En tous cas, les pointillés sont soit assumés soit remplacés par des hypothèses vraisemblables mais qui laissent place aux doutes.

Qui a vraiment été SACCAROTTI ? Dans les années trente, un cambrioleur de génie travaillant généralement seul et sans violence, spécialisé dans le nettoyage impromptu des greniers (ou galetas) bourgeois de la région de Grenoble. Le faisait-il pour s'enrichir ou simplement survivre ? L'objectif était-il de pouvoir aider plus malheureux que lui ? Ou avait-il pour intention d'aider des mouvements politiques d'extrême gauche dont l'anarchie ?

Finalement appréhendé en France, il fut remis à son pays d'origine (où il avait précédemment connu quelques déboires judiciaires). Le régime de Mussolini l'exila sur une ile prison pour de vague soupçons d'opposition au fascisme.

Durant la guerre froide, il en serait revenu de ses fréquentions de gauche communisante et aurait fourni des dossiers favorisant la lutte anti-communiste des services secrets italiens dans une période où ces derniers furent accusés de tous les maux, Il passa ses dernières années avec une princesse russe au nom emblématique d'une marque de vodka bien connue de la firme Martini.

Le bel italien côtoya beaucoup de monde avec souvent une forme innée d'opacité. Ses nombreuses conquêtes féminines, épousées ou non, surent-elles jamais ce qu'il en était de ce personnage sulfureux ou prétendu tel. Des nombreux témoignages (de personnes parfois jeunes voire très jeunes lorsqu'elles l'ont connu) peu ont une vue           « globale » des réelles tribulations de celui qui fut appelé par un journaliste l'Arsène LUPIN des galetas en souvenir du héros des romans de Maurice LEBLANC.

L'enquête de Paul CASOAR effleure l'histoire du XXè siècle méditerranéen en Italie, en France et en Espagne (guerre d'Espagne), SACCAROTTI œuvrant, ou se cachant voire étant embastillé dans ces divers pays. Une façon de faire vivre des pans de l'histoire européenne dont tous les détails ne nous sont pas encore connus.

Parfois un peu difficile à suivre au long des presque 600 pages (*), l'auteur veut nous convaincre des efforts qu'il a entrepris pour mener à bien son entreprise décrivant « une drôle d'affaire dans un monde pas drôle du tout » comme l'écrira une des avocates du beau Raoul. Lorsqu'un nouveau nom apparait dans l'entourage de son « héros », il n'hésite à se lancer dans une vaste « traque » sur ce nouveau venu. Il semble un archéologue découvrant un vieux site de l'antiquité où il ne dispose que de quelques os pour élaborer toute une description de l'histoire de leur propriétaire mais aussi du lieu voire des événement dont ils furent le théâtre.

(*) Néanmoins, l'expérience journalistique de CASOAR nous maintient souvent en haleine malgré la difficulté d'assimiler autant de noms et de circonstances les plus rocambolesques les unes que les autres

Le cœur glacé de Almudena GRANDES (1960-2021)

Le jour de sa mort, Julio Carrión, prestigieux homme d'affaires qui a acquis son pouvoir au sortir de la seconde guerre mondiale sous la dictature de Franco, lègue une fortune considérable à ses enfants. Il leur laisse également un passé incertain, caché, chargé de culpabilité. À son enterrement, en mars 2005, son fils Álvaro, le seul à ne pas avoir voulu travailler dans les affaires familiales, est étonné par la présence d'une belle jeune femme que personne ne reconnaît et qui fut peut-être la dernière maîtresse de son père. En revanche, cette dernière, Raquel, fille et petite-fille de républicains exilés en France, se souvient d'une visite de son grand-père chez les Carrión dont elle a gardé un cuisant souvenir. Elle a longuement médité et organisé sa vengeance du dépouillement de sa famille d'exilés mais sa relation avec Alvaro viendra tout bousculer.

Une fresque d'un demi siècle espagnol dont toutes les plaies ne sont pas cicatrisées. Le destin croisé de deux groupes familiaux, les uns républicains, les autres plutôt favorables à Franco, constitue la trame de ce roman (faisant souvent référence à des faits authentiques) qui malgré sa longueur tient en haleine d'autant que dans les années 1960 j'avais quelque peu approché un témoin de l'exil (*). La lecture tout en restant passionnante, en est toutefois parfois ardue, les chapitres se suivant avec force flash backs.(22/06/2023)

(*) En terminales, j'avais choisi la guerre civile espagnole comme sujet de l'élocution de français et eu l'occasion de rencontrer un ancien réfugié du camp républicain qui était, enfant, arrivé en Belgique avec ses parents. Son père, conservateur de musée en Espagne, était devenu mineur dans un charbonnage du Borinage.

De l'exemple du dictionnaire au XVIIIè siècle (Chronique de Michel DROIT, le Monde des Livres, 17/03/2023)

Dans « la guerre des dictionnaire », Marie Lera-Rsiomis décrit le cheminement de l'idée et de la réalisation du dictionnaire encyclopédique. Par un raccourci bien commode, Diderot et Montalembert avec leurs spécialistes nous semblent avoir ex abrupto confectionné l'Encyclopédie entre 1750 et 1770 devenant ainsi le socle idéologique des Lumières.

L'auteure, professeur à Nanterre et spécialiste de l'Encyclopédie, montre les différentes prémices parfois idéologiquement opposées (y compris des initiatives de Jésuites) mais auxquelles les différentes générations ont fait appel pour élaborer leurs propres ouvrages (les différents auteurs « s'entreglosent, se copient, se captent, se raptent, se singent, s'ingèrent.. » ) s'améliorant sans cesse de ces apports et de leurs savoir et conceptions personnels.

Si l'histoire n'est pas un éternel recommencement, elle est une construction de strates successives jamais totalement étrangères les unes aux autres ni pour autant semblables. C'est aussi le cas dans la construction des idées et dans les mouvements sociaux qui en découlent. Comment comprendre le communisme, si le capitalisme , le libéralisme n'ont pas éclos précédemment ? Comment ne pas lier l'émergence de l'écologie au triomphe de la société de consommation ?

La tentative passionnée : Jean BOUCHOR (1882- )

Une histoire un peu semblable (mais moins bon sur le plan littéraire) au « Malentendu » de Nemirovki mais cette fois dans les mois qui précèdent le 04/08/1914. Un jeune homme, qui baigne allègrement dans une adolescence prolongée, s'est désargenté et est envoyé par ce qui lui reste de famille loin de Paris pour se mettre les pendules à l'heure. Le « héros » atterrit à Périgueux où il est vite confronté à la vie de province avec sa bourgeoisie austère et conservatrice. Son idylle commencée mais inassouvie avec une épouse d'un bourgeois de Brantome finira par le décourager. Après un suicide raté, il rejoint Paris décidé cette fois à prendre en mains sa vie d'adulte.

Le MALENTENDU

Paru en 1926, c'est le premier roman d'Irène Nemirovski qui n'a alors que 23 ans. Son dernier roman posthume (« Suite française »), évoque les deux premières années de l'Occupation. Elle sera ensuite emmenée dans un camp de concentration ou elle sera mise à mort.

Yves est un rejeton déclassé de la grande bourgeoisie, meurtri par la soi-disant grande guerre. En vacances sur la côte basque, où il économise durant un an pour y passer quelques semaines dans le luxe d'antan, il retrouve les matins radieux de son enfance. Il s'éprend de Denise, une femme mariée à un de ses anciens compagnons d'armes qui appartient à son milieu d'autrefois. Très vite, Denise l'aime et ne vit que pour lui. Rentrés à Paris, ils se voient souvent mais son amant se révèle jours après jours mélancolique et fuyant. Il est à la fois épris de la sécurité amoureuse qu'elle représente mais honteux de ne pouvoir suivre le train de vie auquel elle reste habituée et vraisemblablement meurtri par le souvenir des tranchées. De déceptions en meurtrissures, de pleurs en cauchemars, elle accepte, en partie croyant le faire réagir, la compagnie amoureuse d'un cousin toujours épris d'elle. Mais elle en perdra définitivement celui qu'elle aime. La perte de l'innocence et le goût amer du bonheur dans le Paris des années folles.

D'une belle écriture aux phrases parfois un peu longuettes mais aux charmes mesurés d'une époque où les nuits d'amour décrites se résumaient à une attente en nuisette à l'écoute des pas du bien-aimé et au réveil étonné de félicités.

Journal de Samuel PEPYS (XVIIè siècle)

Un haut fonctionnaire anglais (1633-1703) du département de la Marine tint un journal de 1660 à 1669. La période couvre le retour du Roi (Charles II) après les années d'abolition de la monarchie par Cromwell. Il décrit la vie quotidienne, tant les hauts faits que les détails ménagers dans Londres et la province anglaise.

Pepys y relate notamment les grands événements dont il a été le témoin au cours des années 1660, comme l'épidémie de peste de Londres (1665-1666), la deuxième guerre anglo-néerlandaise (1665-1667) et le grand incendie de Londres (1666). Il y décrit aussi très méticuleusement ses sorties au théâtre, la mode, la nourriture et les boissons de l'époque, ce qui fournit une documentation de première main sur la société anglaise des années 1660 et constitue un formidable outil pour les historiens.

Quelques traits marquants à la lecture de ce journal :

La corruption est habituelle (au sens moderne du terme), mais le Trésor royal (le Roi et sa Cour) n'hésite pas à demander des comptes à certains ce qui entraine des sanctions. Cela dit les attaques sont peut être ciblées car Pepys jusqu'à un certain moment pourra poursuivre ses activités sans être remis en cause. Il s'agit de % sur les achats du Ministère (ou de cadeaux) ou par contre de distraire une partie des saisies (navires en cas de guerre)..

Disputes fréquentes avec sa femme portant sur sa propre conduite frivole d'une part et sur les dépenses de son épouse. Généralement raccommodage après peu de temps.

Drames : peste 1665, incendie de Londres 1666, guerre avec la Hollande idem

Confusion des esprits et fake news circulant durant les périodes troublées. Bous émissaires (les incendiaires sont évidemment des étrangers).

Dans les relations adultères, grande peur de la grossesse. Il use manifestement de son « pouvoir » pour obtenir les faveurs féminines. L'éloignement du mari gênant pour quelques tâches est fréquent.

Loisirs citadins : hormis les bavardages et autres moyens d'information, le théâtre semble bien fréquenté. Il y a va pour voir et être vu. L'auteur est souvent déçu par les textes moins par les actrices. Amateur de musique et de chant (qui sont des activités familiales de loisirs) ainsi que la bonne chère.

La qualité des vêtements suit l'ascension sociale officielle (les promotions) ainsi que l'habitation de fonction. Les moyens de transport personnels (calèche) suivront ultérieurement.

Suite française

de Irène Némirovsky, une auteure d'origine juive, née à Kiev en 1903, réfugiée en France et écrivant en français. Arrêtée par des gendarmes français (qui ensuite chercheront en vain ses enfants), elle sera déportée en juillet 1942 et mourra à Birkenau le 17/08/1942.

Ses enfants ont retrouvé ce manuscrit qui a seulement été publié en 2004. Il décrit avec une acuité particulière la période de l'exode en 1940 devant l'avancée des troupes allemandes où le rare héroïsme côtoie l'égoïsme ambiant. En entendant les bruits de guerre en Ukraine, comment ne pas se poser la question : quelle attitude aurais-je en pareil cas ? « Et dire que personne ne le saura (les lâchetés de ceux qui fuyaient tout autant que celles de ceux qui les voyaient passer), qu'il y aura autour de ça une telle conspiration de mensonges que l'on en fera encore une page glorieuse de l'Histoire de France (*). On se battra les flancs pour trouver des actes de dévouement, d'héroïsme. Bon Dieu ! ce que j'ai vu , moi ! Les portes closes où l'on frappait en vain pour obtenir un verre d'eau, et ces réfugiés qui pillaient les maisons : partout , de haut en bas, le désordre, la lâcheté, la vanité, l'ignorance ! Ah ! nous sommes beaux »

Après les départs précipités, voici les retours parfois difficiles. Le monde a-t-il changé ou n'était ce qu'une péripétie. Les expériences personnelles donneront des interprétations de ces semaines de la bataille de France parfois contradictoires. Pour certains tout recommencera (en surface du moins) comme avant, d'autres auront basculé dans ce qu'ils estiment un autre monde.

Puis ce seront les premiers mois d'occupation. Beaucoup de scènes se passent non loin de la ligne de démarcation sans qu'il soit toujours clair de quel côté exactement elles se situent. En milieu rural, la présence allemande est parfois pesante mais avec le temps elle semble s'inscrire dans le paysage hormis quelques soubresauts parfois dramatiques. C'est devenu dans une large mesure une société de femmes. Les unes regrettent un proche disparu ou prisonnier alors que d'autres tentent de vivre dans ces mois désespérés. Certaines se sentent libérées d'une société patriarcale que la défaite a ébranlé ce qui leur donnent parfois un courage remarquable.

Etrangement, guère ou pas d'allusion à l'antisémitisme ambiant ni à une quelconque présence de la Résistance. Il est vrai que le livre s'achève quasiment au début de la campagne de Russie…

(*) Pour partie, également l'histoire de Belgique dont les réfugiés tentèrent en traversant la France, parfois jusqu'au Midi, d'échapper aux troupes allemandes dont ils craignaient la répétition des massacres d'août 1914

« La maison » Emma BECKER

En Allemagne, la prostitution a pignon sur rue du moins quand elle reste dans un cadre légalement défini et qu'elle paie ses impôts alors qu'en France par exemple elle reste largement clandestine ou à la limite de la légalité compte tenu des nombreuses interdictions justifiées par la morale et les bonnes mœurs, le féminisme, la lutte contre l'exploitation des êtres humains, …

Emma BECKER voulait-elle tout essayer avant de se ranger tout en faisant un reportage par infiltration dans le milieu du sexe (féminin) tarifé outre-Rhin ?

Ce livre résulte des deux années passées par cette jeune française dans une maison « non close » de Berlin précédée par une quinzaine de jours dans un établissement plus glauque.

Le parcours n'est pas idyllique et semble justifier l'adage appliqué à d'autres professions moins vilipendées qui « mènent à tout, à condition d'en sortir ». Indépendamment du regard des autres de l'extérieur, à « La Maison », l'auteure y connaitra des relations entre adultes si pas cordiales du moins apaisées.

Aux termes de ces presque 450 pages (pas nécessairement à mettre dans toutes les mains), l'image de femmes qui ont été entraînées (certaines pensent sincèrement l'avoir choisi librement) dans cet univers par des déceptions de leur vie passée, par contrainte financière, par leur éducation laxiste et un goût de l'argent facile, par un déficit parental plus ou moins volontaire, par un appétit pour les illusions d'une liberté pas si émancipatrice, par des addictions et autres considérations, s'éclaire quelque peu. Le tableau n'est pas aussi noir que décrit dans d'autres livres mais le contexte précis de Berlin et de « La Maison » est-il représentatif ? En dehors des contraintes du proxénétisme, sont-elles néanmoins victimes plus ou moins consentantes ? Sont-elles victimes d'un mirage ou d'un miroir déformant y compris leur propre corps ? Quant aux clients, en dehors de quelques cas relevant surtout de la psychiatrie, ne sont-ils pas également victimes du même mirage ?

« La seule histoire » Julian BARNES (2018)

« Préférez-vous aimer davantage et souffrir davantage ; ou aimer moins , et moins souffrir ? »

Une histoire d'amour débutée sur un court de tennis anglais entre une mère de famille proche de la cinquantaine et un jeune débutant de 19 ans. Rien ne les arrêtera ni le regard des autres, ni le poids familial. Elle se finira dans les brumes de la mémoire de l'une et de ses addictions mais aussi le souvenir du lâcher prise (par lâcheté ?) de l'autre.

Triste que les 80 dernières pages ressemblent plus à un verbiage philosophique qu'à un roman, peut-être que la traduction y est pour quelque chose ?

« Commencements »

Catherine Millet (née à Paris banlieue le 01/04/1948) est souvent connue pour sa vie sexuelle multiforme. Elle est aussi critique d'art et auteure de divers ouvrages tant personnels que sur l'art contemporain.

Dans son dernier bouquin « Commencements » (2022), elle retrace les années de sa jeunesse y compris la fin de l'adolescence. Sa famille, ses premiers émois sentimentaux mais aussi artistiques, ses angoisses et ses espoirs.

Ces pages retracent un périple au milieu des artistes qui remodelèrent voire bouleversèrent l'art avec en toile de fond les prémices de mai 1968 puis de son éclatement à la face du monde adulte médusé. Même, si parfois, le parcours ressemble à un vieux catalogue de galerie d'art il décrit l'ambiance de cette bohème et des relations entre les divers protagonistes de monde culturel d'avant-garde.

" Comment notre monde a cessé d'être chrétien "Guillaume CUCHET

Dans son livre : « Comment notre monde a cessé d'être chrétien, anatomie d'un effondrement » (Seuil, 2018) l'auteur en définit l'année 1965 comme le point de bascule pour la France. A partir de cette période, le déclin va s'accélérer. La fréquentation des offices et des sacrements (au départ surtout la Confession puis l'Eucharistie,..) va rapidement décliner dans les différentes régions et dans l'ensemble de la population mais surtout chez les jeunes. Le parole du Magistère n'est plus de droit divin et les baptisés se permettent de plus en plus de la négliger voire de la contester. Il y a certes la « révolution » du Concile de Vatican II qui commence a produire ses premiers effets, mais le malaise était latent et ne demandait qu'une étincelle. L'allongement de la scolarité, les conséquences de mai 1968 et l'impact « négatif » de l'encyclique « Humanae Vitae » de Paul VI ne feront qu'accentuer un phénomène déjà bien entamé. Par exemple, cette dernière sera parfois évoquée comme raison du détachement de l'Eglise mais cela implique qu'au préalable le sentiment d'obéissance absolue à la hiérarchie religieuse se soit émoussé et que la pratique individuelle s'en soit pratiquement déjà éloignée.

En ce qui concerne les conséquences du Concile Vatican II, sont-ce les textes eux-mêmes ou plus simplement le fait du changement de certaines règles de conduite (œcuménisme), de rites (messe en langue vernaculaire et face aux Chrétiens), de pratiques (culte des saints, jeûnes) qui conduisirent de nombreux fidèles à relativiser l'ensemble de leur vision de l'Eglise, de son enseignement et de ses exigences. Si ce qui était vrai hier ne l'est plus aujourd'hui, ne sera pas le même demain avec les nouvelles conceptions.

Cela dit le phénomène sera général en Europe occidentale quelle que soit la religion dominante (*).

En conséquence, l'auteur renvoie dos à dos les partisans d'un retour aux traditions d'avant Vatican II et ceux qui pensent que l'Eglise n'est pas allée suffisamment loin dans ses réformes ( sur la place des femmes dans l'Eglise par exemple).

L'actuelle crise interne et externe de l'Eglise catholique notamment à cause de sa gestion des faits de pédophilies incriminant des pasteurs s'inscrit dans une longue suite à tout le moins d'incompréhension entre elle et la société civile.

Par ailleurs, il s'observerait actuellement dans certains courants de jeunes catholiques un retour vers une pratique et des conceptions plus traditionnelles, voulant faire confiance a priori à l'Institution, chemin du salut indépendamment de ce qui, en regard, apparait comme des chicaneries. Par ailleurs, une réaffirmation forte voire ostentatoire du sentiment d'appartenance (notamment face à la concurrence d'autres religions ou croyances) ne ferait guère de place au relativisme.

De ma propre expérience en Belgique (**), j'ai le souvenir d'une rupture constatée a posteriori, c'est-à-dire qu'elle s'est faite insensiblement mais profondément plutôt vers les années 70 sans que je me rappelle d'aucune raison déterminante. Cette évolution me semble avoir été commune au sein de ma génération. Certes, il y avait déjà quelques contestations auparavant notamment lors des cours de religion mais cela ne dépassait guère les facéties adolescentes. L'étau sur les lectures (interdites, mises à l'Index) ne se desserra dans l'enseignement catholique francophone que vers la fin des années 60 et ce n'est qu'a l'Université que j'ai commencé (hormis quelques écarts dont Stendhal) à lire certains auteurs peu en cour chez les Frères ou les Sœurs.

L'Église et le féminin. Revisiter l'histoire pour servir l'Évangile de Anne-Marie Pelletier

L'Église ne cesse de déclarer son intention de mieux reconnaître la place des femmes en son sein. Si quelques évolutions vont dans ce sens, elles restent toutefois timides. Elles suscitent souvent des résistances et des oppositions parfois très vives. Ces blocages, plus profonds qu'il n'y paraît, témoignent de la difficulté à penser un féminin, paradoxalement d'autant plus célébré qu'il est minoré, marginalisé dans les faits.

Dans cet essai stimulant, la théologienne Anne-Marie Pelletier propose de revisiter quelques aspects de l'histoire de la relation de l'Église aux femmes. Elle nous permet d'identifier la manière dont se sont constitués des préjugés, qui continuent à hanter les esprits, en freinant des évolutions aujourd'hui nécessaires. Si l'auteur n'hésite pas à poser des questions dérangeantes, son objectif n'est ni de s'enferrer dans une logique de procès, ni de disqualifier la tradition qui porte jusqu'à nous le trésor de la foi.

En revanche, il s'agit de percevoir que des convictions passant pour révélées en anthropologie chrétienne ne sont que le fruit d'un accommodement de la foi aux représentations culturelles d'un moment. Ce faisant, il s'agit de désencombrer les sources vives de l'Évangile pour que celui-ci déploie sa puissance de nouveauté et de vie en un temps qui appelle de courageuses révisions institutionnelles.

L'auteure : Agrégée de lettres, docteur en sciences des religions et professeur émérite des universités, Anne-Marie Pelletier a consacré une grande partie de ses travaux aux questions d'herméneutique biblique (D'âge en âge, les Écritures, Lessius, 2004). Elle mène aussi depuis plusieurs années une réflexion autour du féminin à l'aune de la révélation biblique (Le signe de la femme, Cerf, 2006 ; L'Église, des femmes avec des hommes, Cerf, 2019).

Pour rien au monde de Ken Follet

Très long, à l'anglo-saxonne mais on arrive au bout sans déception. C'est bien ficelé, c'est une anticipation partant d'éléments que nous pouvons apercevoir dans l'actualité. La fin est peut-être apocalyptique mais les péripéties antérieures nous font côtoyer des régions du monde à problème (Sahel africain et ses terroristes musulmans, Corée du Nord et Chine communistes, services secrets américains et français,..). Que de mondes effrayants d'autant que la logique conduisant à l'affrontement (effondrement) final semble parfois bien imparable.

Les flammes de pierre de Jean Christophe Rufin

Déçu de cette lecture. C'est beaucoup plus intimiste malgré les paysages de hautes montagnes que les tribulations de son diplomate et fin limier roumano-français. Le suspens porte essentiellement sur la question de savoir dans combien de pages les amants vont se retrouver. Le style reste nerveux et le roman se lit facilement voire agréablement mais cela demeure du niveau d'un épisode d'une de nos séries policières de soirées TV.

Voyage dans l'Est de Catherine Angot.

Le drame qu'elle a vécu durant son adolescence et sa jeunesse avec un père incestueux (il ne fut jamais condamné car elle tarda à tenter de déposer plainte étant toujours sous son emprise et il n'y eut pas de débats contradictoires) mérite le respect et la compassion. Ce sont donc des souvenirs strictement personnels, cela n'en fait pas un roman à proprement parler quoiqu'elle ait eu le Prix Médicis. Nonobstant c'est bien écrit et cela se lit assez rapidement. Finalement, j'en retire une image plus humaine de l'auteure bien au-delà de ses provocations (parfois promotionnelles).

Et l'évolution créa la femme de Pascal PICQ

Essai maladroit et perso de synthèse

L'auteur, paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France, a récemment publié cette somme qui s'appuyant sur le raisonnement évolutionniste tente de dégager le fil conducteur ayant conduit la femme a une position souvent inférieure voire subissant des sévices de la part des mâles.

Il part de nos lointains cousins, surtout les grands singes, chez lesquels il constate un foisonnement de situations dans lesquelles la position de la femelle varie de la position égalitaire (voire en partie supérieure) à la coercition la plus extrême. Tout est dans la nature et son contraire. Parmi les plus proches des humains, les chimpanzés et les bonobos sont les exemples types de comportements nettement dissemblables avec les premiers patriarches possessifs et parfois violents et les seconds au contraire ne connaissant guère de violence faites aux femelles.

Certes, l'incertitude scientifique règne en maître dans ces matières et pouvoir dire si l'ancêtre primordial (commun aux grands singes et aux « hommes ») penchait d'un côté ou de l'autre est impossible. Manifestement, l'auteur a beaucoup lu les travaux de ses confrères et au-delà dont il synthétise les travaux les plus récents.

Il pourrait être permis de supposer que des contraintes biologiques, économiques, climatologiques, démographiques (concurrence d'autres espèces) ou celles nées de l'enfantement et de l'éducation des nouveaux nés, de la constitution de la famille type (monogamie plus ou moins permanente ou polygamie, la femelle dans le clan de son mari ou l'inverse) semblables ne conduisent pas (y compris dans l'espace et dans le temps) à une même réaction des mâles vis-à-vis des femelles. Les données relatives aux « humains » ne semblent guère diverger.

Si le mythe de sociétés anciennes dominées par les femmes (Amazones) semble devoir le rester, il existe néanmoins des cas, minoritaires, où les mâles humains sont moins brutes que dans d'autres groupes. Cela dit d'une manière générale sur l'ensemble des cousins (singes, grands singes ou les « humains »), les mâles de ces derniers seraient les pires.

Compte tenu de la diversité de l'évolution de ces espèces, le féminisme n'est pas nécessairement contraire à la « nature » originelle mais ce n'est guère à ce niveau qu'il doit chercher ses justifications.

Si l'évolution fut souvent un ensemble de tentatives pour s'adapter (sur le long terme) à des contraintes anciennes ou nouvelles, elle peut aussi être essentiellement une évolution culturelle.

Malgré les contraintes phylogénétiques propres au genre « homo », les changements peuvent être plus rapides que l'on imagine, car le problème de nos jours, en tous cas dans les sociétés dites modernes, relève moins de la biologie que des cultures. Et l'évolution créa la femme, PICQ, p298

Une brève histoire de l'avenir 15/10/2018

La colonisation, mythe dépassé ?

Dans son dernier ouvrage « Homo deus, Une brève histoire de l'avenir », Yuval Noah Harari (*) affirme que l'originalité des humains par rapport aux autres espèces du Vivant c'est la capacité à forger des mythes auxquels ils croient et qui galvanisent la société, lui permettant d'atteindre des performances de travail en commun inégalées.

Mais ces mythes évoluent et sont bientôt dépassés, on n'y croit plus, et remplacés par d'autres selon des rythmes changeants.

« Ainsi va l'Histoire. Les gens tissent une toile de sens, y croient de tout cœur, mais tôt ou tard la toile s'effiloche ; quand on se retourne sur le passé, on ne comprend pas comment on a pu la prendre au sérieux. Avec le recul, partir en croisade dans l'espoir d'entrer au paradis semble relever de la pure folie. Avec le recul, la guerre froide paraît plus insensée encore. Comment, voici trente ans, des gens étaient-ils prêts à risquer l'holocauste nucléaire à cause de leur croyance au paradis communiste ? Dans cent ans, notre croyance à la démocratie et aux droits de l'homme pourrait paraître tout aussi incompréhensible à nos descendants ». (Homo deus, p. 167).

La colonisation, spécialement celle développée à la fin du XIXème siècle, ne serait-t-elle pas aussi l'un de ces mythes galvanisateurs dont l'humanité a le secret mais qui s'est estompé dans les croyances pour être chaque jour un peu plus mal compris ?

L'œuvre civilisatrice et la lutte contre l'esclavage, qui en furent souvent les deux piliers « moraux », semblent aujourd'hui devenus bien incompréhensibles. Le premier est considéré comme une horrible prétention d'une civilisation sûre de sa supériorité, l'autre semble non pas remise en cause mais la situer dans le contexte colonial est devenu à tout le moins suspect.

Aujourd'hui, souvent ces aspects du mythe de l'élan colonisateur sonnent faux. Il ne reste que l'appât du gain d'Etats européens à la recherche de débouchés, de matières premières et de main d'œuvre bon marché. Pourtant, ceux qui vécurent l'aventure coloniale savent, pour l'avoir vécue, que ces éléments matériels, certes présents, n'étaient pas les seules motivations des coloniaux, laïcs, prêtres, militaires,…

Par exemple, aujourd'hui, un jeune Père blanc quittant Bruxelles pour Kinshasa tout en respectant ( ?) les motivations de ses prédécesseurs, ne s'inscrit plus du tout dans la même perspective. D'autres mythes se sont forgés comme celui des Droits de l'Homme, de la démocratie pour toutes et tous… C'est parfois en abandonnant à temps les mythes anciens pour s'adapter aux nouveaux que d'aucuns peuvent espérer assurer une certaine pérennité à leur action.

L'historien d'aujourd'hui, comme celui d'hier voire de demain, baigne, qu'il le veuille ou non, dans son environnement. Espérer qu'il puisse s'en extirper complètement pour situer les faits qu'il constate dans le contexte des mythes qui prévalaient à l'époque est une douce espérance.

C'est dire si le combat de nombreux anciens d'Afrique pour tenter de restaurer une image écornée de leur passé et de celui des pionniers, par exemple en Afrique centrale, est loin d'être gagnée d'avance. La question essentielle pour demain est-elle de savoir si la colonisation fut bonne ou mauvaise (le bilan positif ou négatif de l'histoire?) ou plutôt de prendre en compte qu'elle a eu lieu, notamment celle de la fin du XIXème et de la première moitié du XXème. Elle est, en effet, une des clefs fondamentales d'explications des rapports d'aujourd'hui et de l'avenir, entre les individus dans de nombreux pays du monde. Elle a ouvert de nombreuses contrées à la modernité, sachant que vraisemblablement, colonisation ou pas, elles l'auraient été.

Philippe REUL (**)

(*) « Homo deus, une brève histoire de l'avenir » Yuval Noah Harari, publié en 2015, paru en français en 2017. Ce bouquin fait suite à « Sapiens, une brève histoire de l'humanité ». Yuval Noah Harari (né en 1976), israélien, diplômé d'Oxford, est professeur d'histoire au département d'histoire de l'université hébraïque de Jérusalem.

(**) Ce texte a d'abord été publié dans le bulletin 124 (septembre 2018) de l'association montoise des anciens d'Afrique (SIMBA)..

AIMER LAWRENCE C. MILLET, paru le 20/09/2017, Edit. Flammarion

«Il fallait bien qu'un jour je croise la route de Lady Chatterley. J'ai fait mieux, je suis tombée amoureuse de celui qui l'imagina, D. H. Lawrence, à cause de sa figure de mauvais coucheur, à cause de l'extraordinaire sensibilité de son "écriture androgyne" dont parlait Anaïs Nin.
Pendant deux ans, je n'ai pas quitté cet amateur des grands espaces qui, lorsqu'il écrivait, ne s'est jamais encombré des barrières du surmoi. J'ai voulu faire redécouvrir cet auteur célèbre qui n'est plus assez lu, contemporain des suffragettes, et qui vécut entouré de
femmes libres. Il avait compris qu'au vortex de leur émancipation et de leurs revendications se trouvait le plein accomplissement de leur jouissance sexuelle.»

Note perso : Décrypter D.H. LAWRENCE, c'est une façon de présenter la situation de femmes durant la première moitié du XXè siècle certes sous une plume masculine et vue avec le regard d'une écrivaine d'aujourd'hui.

Celle-ci est connue pour ses jugements artistiques mais aussi ses écrits érotico-personnels. Ces derniers sont le reflet (un « rien » excessif) du dernier quart du XXè, ce qui donne l'occasion à l'auteure de montrer le chemin parcouru par certaines femmes.

Il s'agit d'expériences vécues dans un milieu plus libéré (essentiellement anglo-saxon) et ne reflétant pas la situation réelle de la condition féminine dans sa globalité même en Occident développé. Si les caractères féminins décrit par Lawrence et le vécu de C. MILLET ne représentent pas la « moyenne », ils sont souvent les prémices précurseurs d'évolutions voire de régressions ultérieures.

« La Mer Noire dans les Grands Lacs », d'Annie Lulu : maux de cœur entre Bucarest et Bukavu

La Mer Noire dans les Grands Lacs commence et se termine à Bukavu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), où Nili s'apprête à accoucher. Pourtant, jamais le lecteur ne parvient à s'extraire totalement du salon-chambre-bibliothèque de Bucarest où la narratrice a vécu vingt-cinq ans avec sa mère, Elena Abramovici. Une professeure de lettres à l'université, blonde et solitaire, qui répond par des coups aux questions de sa fille de 6 ans sur son père, un étudiant congolais qui se trouvait en Roumanie en 1989. « J'aurais dû te noyer quand t'es née, j'aurais dû t'écraser avec une brique », hurle-t-elle. A la place, elle l'élèvera à l'abri des regards et dans la honte, l'abreuvant de lectures pour en faire la seule chose digne d'elle : une intellectuelle

« La Mer Noire dans les Grands Lacs », d'Annie Lulu, Julliard, 224 p., 19 €, numérique 13 €. In Le Monde des Livres, 21/01/2021

« Des Borains dans les mines de charbon de l'Illinois au temps de la guerre de Sécession américaine (1861-1865) » Guy GALLEZ, Cercle d'Histoire et d'Archéologie de Saint-Ghislain et de sa région, 2020

Trouvé un peu par hasard (dans le grand fouillis de la librairie Scientia à Mons) un exemplaire d'une publication extraordinaire et récente du Cercle de Saint Ghislain.

L'auteur évoque le recrutement au départ de Jemappes de mineurs borains destinés à travailler dans des mines de l'Illinois durant la guerre de Sécession où beaucoup d'américains étaient appelés sous les armes et devaient être remplacés dans les entreprises. Les besoins en charbon étaient croissants compte tenu notamment de la production d'acier pour le transport et les armes.

Un Belge qui avait séjourné aux EU, un certain Louis DOCHEZ (1827-1907), qui se prétendait représentant de sociétés minières, établit son centre de recrutement à Jemappes d'où partirent deux convois de mineurs d'abord vers Anvers et puis à bord de deux navires de passagers (vers NY). Le Johan KEPLER y arriva le 06/10/1863 avec 87 passagers ; l'ADELE y débarqua 170 personnes le 03/11/1863.

Les conditions de travail et de rémunérations ne se révélèrent pas conforme aux espérances voire aux promesses notamment en raison de la dévaluation constante du dollar par rapport à notre franc. L'espoir de voir son salaire doubler fut ainsi réduit voire supprimé.

M. GALLEZ a retrouvé les noms de ces émigrants partis des villages borains et de nombreux éléments sur leur histoire américaine. En effet, si certains déçus rentrèrent au pays, d'autres s'établirent aux EU dont l'Illinois et y firent souche.

Parmi les passagers, citons les noms de personnes nées à Jemappes (noms souvent encore présents dans la région) :

Dans le KEPLER : DUFRASNES Alexi (13/10/1833) CAPIAU Michel (09/10/1841) et CAPIAU Louise (30/04/1841) LEFEBVRE Jean-Baptiste Victor ( 10/10/1839) BEUGNIES Evrard (07/10/1843) LEVEQUE Ant. (25/10/1821) et LEVEQUE Rosalie, née GRARD (09/02/1823) LAVENNE Hyacinthe (03/07/1825) et deux enfants Joseph (14/03/1855) et Léopold (31/05/1859)

Dans l'ADELE : PIETTE Virginie née QUEVY (31/03/39). Allait-elle rejoindre PIETTE Nicolas de Pâturages (16/05/1833) parti avec le Kepler. HALGRAIN Théo (07/04/1826) MOREAU Constant (28/12/1828) et MOREAU Victoire (09/02/1835) et les enfants Aimée (28/10/1857), Joséphine (12/10/1860) et Antoine (01/10/1862) BROUEZ Pauline (CAPIEAU) (09/11/1839) FAGNARD F.P. (15/08/1838) et FAGNARD Adèle née DUQUESNOY (03/01/1844)

« Estoniens, Lettons, Lituaniens, histoires et destins » Edit. Armeline

Contrairement aux idées reçues, il y a des différences notables entre ces trois pays comme l'expliquent les auteurs Suzanne CHAMPONNOIS et François de LABRIOLLE.

Ils sont issus de peuples fondateurs différents, aux langues diverses : deux sont indo-européennes (lituanien et letton), la troisième y est y étrangère à l'instar du finnois ou du hongrois (estonien). Après leur conversion au christianisme relativement tard en Europe (au début du deuxième millénaire), elles se diversifièrent à nouveau entre catholiques (lituaniens), protestants (lettons), orthodoxes voire uniate (dissidence de l'orthodoxie rattachée à Rome, comme en Ukraine) en Estonie, sans parler d'une importante minorité juive dans les trois pays.

Leur histoire ne fut au total guère commune hormis les où ils furent soumis à un « maître » commun. C'est la Lituanie qui eut, au Moyen âge, l'épopée la plus glorieuse à la tête d'un ensemble qui avec la Pologne englobait une bonne partie de l'Ouest de l'actuelle Russie (Biélorussie, Ukraine,…).

La phase d'évangélisation terminée, les Chevaliers teutoniques (moines-soldats germaniques) venus les christianiser, restèrent sur place dans les vastes territoire qu'ils s'étaient octroyés. Passés au protestantisme, ils constituèrent une minorité dominante (conservant sa germanité) jusque quasiment le début du XXème siècle.

Lors des démenbrements successifs de la Pologne par ses voisins, ils furent englobés dans l'Empire russe pour lequel ils constituaient une appréciable fenêtre sur la mer Baltique. Alternant les périodes d'accalmie et d'intenses oppression dont les tentatives de russification, le déclin du pouvoir des Tsars y conduisit à un nouvel essors (parallèle entre les trois peuple, chacun conservant ses spécificités) d'abord culturel puis politique de leur « authenticité ». Dans les désordres et les bouillonnements de la première guerre mondiale et de la révolution bolchevique, ils évoluèrent vers l'indépendance politique qui fut concrétisée dans la foulée du Traité de Versailles. Hormis, la Lituanie plus foncièrement agricole, les deux autres pays baltes avaient déjà une certaine industrialisation. Riga, capitale de la Lettonie était un de plus grands centres industriels de l'Empire tsariste.

Durant l'entre-deux guerre et l'indépendance (ancestrale) retrouvée, ils se dotèrent de régimes démocratiques mais qui, faute de traditions et compte tenu des tensions internationales et de la crise économique des années 1930, les conduisit à des politiques plus autoritaires.

Lors de l'invasion germano-soviétique de la Pologne en 1939, ils échurent à Staline en vertu de clauses (secrètes) du Pacte Ribbentrop-Molotov d'août 1939. En 1941-1942, lors de l'invasion de l'URSS par l'Allemagne, ils furent repris par cette dernière. Certains Baltes plus sensibles à leur propre germanité historique n'accueillirent pas la Wehrmacht avec hostilité d'autant que le patriotisme pro-soviétique y était dans l'ensemble de la population relativement rare. Après le retour de l'Armée rouge en 1944, qui ne fut pas nécessairement vue comme libératrice, ils connurent les années de plomb (déportations, exécutions, et russification de la pollution y compris par le venue imposée de population d'origine russe) du stalinisme voire de l'URSS vis-à-vis de ses provinces périphériques réfractaires au monde « russe ». Moscou ne comprendra jamais la spécificité des trois baltes.

Au déclin du communisme, la résurgence de l'espoir de libertés y fut immédiatement teintée de la revendication nationale. Ils durent leur nouvelle indépendance surtout à la désorganisation de l'empire soviétique lors de son démantèlement.

«L'école de la chair »Yukio MISHIMA

Roman déjà ancien (1963) d'un auteur japonais (1925-1970) qui a souvent dénoncé les excès du modernisme et donné une description pessimiste de l'humanité.

Trois divorcées, dans une société japonaise où la femme se libère lentement du poids des pesanteurs masculines, profitent de cette émancipation. Elles font le point lors d'une rencontre mensuelle sur leurs succès et leurs échecs professionnel mais aussi sentimentaux.

A l'aube de la quarantaine, Taéko est la plus délurée. Née d'une grande famille, elle s'est lancée dans la confection de haute couture où elle est amenée à côtoyer parmi ses clientes des femmes également aisées, japonaises ou étrangères. Mais ce qui passionne ce sont néanmoins les hommes. Veut-elle tester sa «liberté», en se permettant des gestes, des attitudes jusqu'alors réservées à la gens masculine. Par exemple, être servie en premier est exceptionnel pour une femme japonaise dans les années 60. Parfois, il semble qu'elle veut pousser encore plus loin l'expérience est offrant sa liberté (se disant qu'elle peut la reprendre) à son jeune amant qui reste foncièrement dans la tradition.

Trompée par celui-ci, elle finira, après de longs combats où elle feindra de croire envers et contre tout à sa sincérité, par s'en détacher.

Cette société japonaise a vu les hommes meurtris par la défaite de 1945 ce qui a permis une certaine ouverture pour la situation des femmes, un peu comme en Europe occidentale où le droit de vote féminin s'ensuivit. Certes, il y eut, ici et là-bas, des réactions contraires où pour pallier ce ressenti des hommes défaits en 1940, ils tentèrent de reprendre confiance en eux en voulant rétablir l'esprit de domination masculine.

«Le flambeur de la Caspienne »

Le dernier roman (03/2020) de JC RUFIN est à nouveau un ravissement. Emprunté à la Médiathèque de Cazedarnes et lu d'une traite, il décrit l'enquête mené hors des clous par son héros, Aurel TIMESCU, petit diplomate français d'origine roumaine, que les ambassadeurs voudraient mettre au rancart mais si possible pas dans leur ambassade. Cette fois d'ailleurs, l'ambassadeur de France à Bakou avait toutes les raisons de se méfier car c'est à son propos qu'Aurel a des doutes et va mener ses investigations tambour battant.

Pour cette 3ème aventure, le héros a maintenant ses habitudes, ses tics d'enquêteur amateur bien ancrés ce qui réduit parfois l'intensité du suspens.

En refermant le bouquin, vous en saurez plus sur cette région de la mer Caspienne où les anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes ont renoué avec leur passé pour le meilleur mais aussi souvent pour le pire.

« Une enfance de rêve » Catherine MILLET, 2014

Si l'expression de ce titre veut parfois dire une enfance parfaitement heureuse, ici Catherine MILLET entend surtout évoquer que ses jeunes années baignèrent dans le rêve. C'était une sorte d'évasion d'une réalité familiale qui, au mieux, la déroutait. Entre un père souvent absent, une mère parfois lunatique, des parents désunis se complaisant dans la confrontation physique, un frère quelque peu caractériel, une grand-mère maternelle qui avec sa fille s'acharne sur son bien pâle beau-fils, le tout dans des appartements parisiens particulièrement étroits où la promiscuité est la règle, il y a de quoi vouloir s'évader dans le rêve. Sans parler de revenus modestes qui font que chaque franc devrait être parcimonieusement dépensé.

Si dans un précédent texte autobiographique paru en 2001 (« La Vie sexuelle de Catherine M. « ), elle donnait quelque touche sur son enfance et sa jeunesse, ici le propos est plus systématique. La sexualité n'y tient qu'une place naturelle, voire commune aux enfants et adolescents.

Certes, il s'agit d'un livre écrit près de 50 ans après les faits. Entretemps, elle aura connu une vie d'adulte qui sur les plans professionnel (directrice d'une publication artistique) ou sentimental fut particulièrement bien remplie. L'enfance décrite l'est avec les yeux d'une sexagénaire qui a dû faire un appréciable effort de mémoire pour rédiger ces pages. Elles se terminent avec son départ à 18 ans de l'appartement familial pour partir avec un copain et ouvrir un chapitre autrement « osé » de son existence.

Ce décalage entre les faits et l'écriture conduit souvent l'auteure à des propos très nuancés sur la description ou l'interprétation des événements de sa jeunesse. Ce souci du détail l'honore mais alourdit parfois le texte.

Ce dernier est intéressant en décrivant une époque pas si lointaine mais oh combien différente sur de nombreux aspects. Aux jeunets qui n'ont que le mot de « boomer » pour qualifier leurs prédécesseurs, lire ces pages pourraient leur montrer qu'en ces temps-là, la vie était au moins plus difficile qu'aujourd'hui.

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