Tant qu'il y aura des Hommes
L'actuelle
situation des anciens coloniaux, indépendamment de leur disparition programmée,
serait-elle une image prémonitoire de celle plus générale des hommes
occidentaux d'aujourd'hui.
Beaucoup
de coloniaux sont partis dans les années 40-50 vers l'Afrique avec des
préoccupations certes familiales (assurer le gagne pain de leur famille et
tracer une carrière) mais aussi avec le sentiment de participer à l'édification
d'une société nouvelle. Cela s'inscrivait dans une grande œuvre civilisatrice
dont souvent à titre personnel ils ne se sentaient pas le besoin de s'y référer
constamment et explicitement. Sans se prendre pour des héros, beaucoup ne se
reconnaissaient nullement dans une volonté d'exploitation coloniale même si
cette dernière n'était jamais très loin.
Il
y avait un contexte général tant en Europe qu'en Afrique où les différences
« raciales » étaient assumées voire soulignées. Une certaine idée
d'une suprématie empirique de l'Homme occidental en constituait un socle
largement reconnu. Les coloniaux, notamment durant leur éducation et
instruction, avaient baigné dans ces a priori. Certains les relativisaient,
d'autres les exagéraient.
Revenus
au pays natal à la suite des indépendances des années 1960, beaucoup
n'oublièrent jamais le « temps des colonies ». Comme toujours, le
regard sur le passé est surtout fait d'embellissement mais en l'occurrence, le
contexte (personnel, financier, social,...) n'était manifestement plus le même,
du moins pour la grande majorité. Que tous les expatriés aient connu une vie
d'opulence et de facilité en Afrique est évidemment excessif mais la grisaille
de leur existence en Europe était souvent moins enthousiasmante.
Plus
tard, sont venus les interrogations et surtout les mises en cause. Non
seulement, la colonisation n'avait pas été pour tout le monde un eldorado
surtout pour les colonisés. Les coloniaux en étaient souvent conscients mais
ils avaient néanmoins le souvenir d'une période où les conditions de vie
s'amélioraient constamment sous les tropiques. Puis, ce fut l'idée même de
colonisation qui fut remise en question considérée comme uniquement
discriminatoire voire criminelle, en clair un bilan « globalement
négatif ». Des remises en cause fondamentales sur ce parcours historique
de la colonisation conduisirent des anciens colonisés à vouloir détruire le
mythe de l'expansion européenne et de l'universalité de ses valeurs. Ces idées sont également partagées, tant par
conviction que par effet de mode, dans divers milieux occidentaux.
Oserait-on
dire heureusement pour la plupart des anciens coloniaux qui ne verront pas ce
nouveau contexte où leur propre vie apparait, à d'aucuns, une monstruosité.
La
situation des hommes en Occident ne ressemblent-elles pas, dans une certaine
mesure, à celles de ces Anciens coloniaux.
Beaucoup
ont été élevé dans une société foncièrement masculine même si l'élévation
globale de la position des femmes était en mouvement. Dans notre génération des
années 1960, où l'éducation était encore souvent unisexe, nos compagnes
faisaient des études mais leurs espoirs semblaient se limiter (et étaient
vraisemblablement insidieusement ou explicitement limités) à des études moins
valorisantes. Les métiers d'infirmières ou d'enseignantes plutôt que celui
d'ingénieur, le tout emballé dans un discours (aux accents paternalistes) sur
le rôle éminent de la femme, mère et éducatrice qui se retrouve encore
aujourd'hui dans certains enseignements religieux. Officiellement, des métiers
leur étaient encore formellement interdits (Armée,...) tout comme le service
militaire, symbole de l'Homme défenseur de la veuve et de l'orphelin.
Voilà
que ce monde craque de partout, du moins en Occident.
La
famille traditionnelle a éclaté. Au départ, cela fut ressenti comme une
libération pour les uns et les autres, mal à l'aise dans des couples peu
assortis ou au vécu dégradé. La pilule, qui allaient libérer les couples de
grossesses non désirées, fut une révolution dont les conséquences ne furent
guère appréhendées notamment dans sa dimension spécifiquement féminine. Les lois,
comme souvent, suivirent, parfois avec grande peine, ces évolutions sociales.
La cellule familiale type est devenue multiforme tant sur le plan des sexes
(mariage pour tous) que pour les familles dites recomposées.
Rappelons
que ces phénomènes sont surtout propres à l'Europe et à l'Amérique du Nord (et
encore avec des nuances). Ailleurs, les évolutions sont plus complexes et
l'universalisme de certaines valeurs occidentales se voit largement contesté
(*).
Aujourd'hui
l'évolution féminine dans notre société connaît un coup d'accélérateur du moins
sur la place publique.
Cela
ne peut se réduire à la légitime lutte contre l'exploitation et les abus sexuels
(qui même hier n'étaient pas moralement acceptables même si en pratique la
condamnation n'était pas aussi absolue). Meetoo et ses émules ne sont qu'un
aspect d'un mouvement beaucoup plus large et plus profond qui remet
fondamentalement en cause le rôle masculin voire, pour certaines, son existence
même.
Face
à ce chamboulement, des hommes se sentent en porte à faux. Tous leurs
comportements, toutes leurs intimes convictions (qui sont parfois
constitutives, à tort ou à raison, de leur identité propre) sont remis en cause
sans qu'ils n'y peuvent mais. La pression sociale (et des médias sociaux)
devient à ce point astreignante qu'ils ne voient guère d'issues. Un peu comme ces anciens coloniaux, ils
assistent impuissants à l'écroulement de leur monde. Il y a pourtant une
différence notable : si les anciens coloniaux sont nécessairement une
espèce en voie d'extinction vu la disparition des colonies, par contre les
Hommes resteront demain, comme hier environ la moitié de l'Humanité. Certes,
les « générations corrompues à l'esprit machiste des temps anciens »
vont également s'estomper mais combien de drames individuels ou collectifs
d'ici là.
Idéalement, on pourrait espérer une évolution constante de l'émergence féminine baignant dans une société plus ouverte aux unes aux autres. Un des exemples, peut être pas fondamental mais symptomatique, est celui du partage des tâches familiales. Sans perdre leur estime de soi, des hommes, et cela ne date pas d'aujourd'hui (**), en assument une part de plus en plus importante tout en sachant que cette attitude n'est pas acceptée par tous. Il est toutefois à craindre que la raison une fois de plus ne l'emporte pas et que des excès répondent à d'autres excès sans bénéfice pour personne.
(*) La situation des hommes occidentaux
pourraient conduire, dans d'autres parties du monde, la gent masculine à
prévenir une pareille évolution en freinant des quatre fers toute évolution du
statut féminin pour éviter la contagion. Sur le plan mondial, la libérations
des unes pourraient conduire à un « enfermement » des autres, sans
que cela doivent nécessairement dicter nos comportements.
(**) Mon père, né en 1917, n'a jamais rechigné à la cuisine, à la vaisselle et retraité à diverses autres tâches ménagères.
